Etat des lieux de la Recherche

Les avancées de la Recherche : entre espoirs et déceptions

Quels traitements disponibles aujourd’hui ?

Selon le LEEM* : 120 laboratoires sont actuellement concernés par la recherche pharmaceutique sur Alzheimer, 150 molécules sont en développement pour les médicaments du futur, et une quarantaine d’entre elles sont dans des phases avancées.

Malgré ce fait, en pratique clinique on traite toujours les patients avec les médicaments symptomatiques (les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase -AChEI- et mémantine), qui améliorent certains symptômes de la maladie sans modifier son évolution. Bien que leur efficacité soit modeste et temporaire, elle reste quand même réelle. D’autant plus que les résultats d’étude multicentrique « Hippocampe» (étude menée par le laboratoire Eisai dans plusieurs centres de mémoire français), ont démontré un ralentissement du taux de l’atrophie hippocampique chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer prodromale (c’est-à-dire à un stade précoce de la maladie, où les fonctions cognitives ne sont pas encore touchées) et traités par des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase.

->L’atrophie hippocampique est un biomarqueur d’imagerie de la maladie d’Alzheimer. Elle est corrélée à la gravité du déclin cognitif du patient ; c’est aussi un des facteurs prédictifs importants de progression vers la maladie d’Alzheimer chez les sujets avec des troubles cognitifs légers (MCI). Les patients du groupe traité par inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ont quant à eux manifesté un taux d’atrophie hippocampique 45 % plus faible que ceux du groupe placebo après un an de traitement. Ces résultats ont démontré pour la première fois l’effet d’un anticholinestérasique sur le biomarqueur topographique de la progression de la maladie d’Alzheimer chez les patients au stade prodromal.
De plus, les résultats de l’étude DOMINO, très attendus par les praticiens et les autorités de la santé, publiée en mars 2012 dans NEJM (revue médicale avec un facteur d’impact l’un des plus élevés dans le monde) ont démontré l’intérêt de la poursuite du traitement par inhibiteur de l’acétylcholinestérase et mémantine chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer légère à modérée.

->Il s’agit de 295 patients non institutionnalisés, sous inhibiteurs de l’acétylcholinestérase depuis au moins trois mois au moment de l’inclusion, et atteints d’une forme modérée à sévère de la maladie. Ils ont été randomisés entre :
– la poursuite de l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase,
– l’arrêt du traitement,
– le passage à la mémantine,
– et l’association inhibiteur de l’acétylcholinestérase + mémantine.
Contrairement à l’arrêt du traitement, la poursuite de l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase a été associée à une amélioration statistiquement significative de 1,9 points du MMSE standardisé (échelle qui évalue l’efficience cognitive globale), et de 3,0 points du BADLS (échelle évaluant les activités de la vie quotidienne). Les patients recevant la mémantine seule, ont eu une amélioration significative de 1,2 points du MMSE standardisé et de 1,5 points du BADLS, par rapport au placebo. L’étude n’a pas révélé de différence significative entre l’efficacité de l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase et de mémantine, de même, elle n’a pas présenté un bénéfice d’associer ces deux traitements.

Quels sont les traitements en cours de développement ?

Les progrès réalisés dans la compréhension de la maladie d’Alzheimer permettent aujourd’hui d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques. Ces stratégies visent à prévenir l’accumulation de peptide beta-amyloïde (Abeta) et de ses fragments, ou bien d’agir sur la phosphorylation anormale des protéines Tau en diminuant leur agrégation en filaments.

Ces thérapies dites « disease-modifier » visent à agir sur les voies physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer.

 

  1. Les molécules anti-amyloïdes

L’approche, déjà explorée par de nombreux laboratoires pharmaceutiques, vise à développer une technique d’immunothérapie consistant soit à stimuler le système immunitaire pour qu’il élimine la protéine anormale (immunothérapie active), soit d’administrer des anticorps qui activent la dégradation des agrégats d’amyloïde (immunothérapie passive).

a. L’immunothérapie active

– La première tentative de l’immunothérapie active (vaccin actif anti-amyloïde du laboratoire Elan Pharmaceutical) a été réalisée en 2001 puis abandonnée après que 6% des patients aient développé une méningo-encéphalite. Dans le même temps, l’examen post-mortem de certains patients traités par ce vaccin a démontré une clairance des plaques amyloïdes du cortex cérébral quasi-totale, ce qui a encouragé les chercheurs à approfondir cette voie.

– Les résultats tombés en 2007 de l’essai de phase 3 de tramiprosate (Alzhemed®), une molécule qui devait inhiber la formation et l’accumulation d’Abeta du laboratoire Neurochem, étaient décevants, notamment à cause d’absence d’efficacité clinique.

Entre temps, les laboratoires ont développé des vaccins présentant moins d’effets secondaires et ayant une approche plus ciblée vers des formes pathologiques du peptide amyloïde.

– L’étude Antizim, évaluant le profil de tolérance et l’efficacité sur les plans cognitif et fonctionnel du vaccin anti-Abeta ACC-001 du laboratoire Pfizer, est actuellement en phase 2 de développement, et plusieurs centres en France participent à cet essai clinique. La première étape de cette phase 2 s’est achevée avec un bon profil de tolérance. Le suivi de ces patients continue dans une phase dite « d’extension » dans laquelle tous les patients reçoivent le produit actif.

– Un autre vaccin, qui semble, selon la communauté des chercheurs en Alzheimer, porteur d’espoir, est celui du laboratoire autrichien Affiris. Ce laboratoire, spécialisé dans la mise au point de différents vaccins, a développé un vaccin anti-amyloïde avec un profil de sécurité très rassurant. Ce vaccin est actuellement en fin de phase 2 d’essai clinique en double aveugle.

-> Perspectives : S’en suivra, dès le mois de septembre 2013 en France, une phase d’extension dans laquelle tous les patients recevront un produit actif. Les résultats d’efficacité sont attendus courant 2013.

 

b. L’immunothérapie passive

– La grande déception de l’été 2012 a été les résultats négatifs de l’essai de la phase 3 de Bapineuzumab, immunothérapie passive (anticorps monoclonaux anti-Abeta) des laboratoires Pfizer et Janssen Alzheimer Immunotherapy. L’objectif clinique (le ralentissement du déclin cognitif) de l’essai de phase 3 sur des patients porteurs et non porteurs du gène ApoE4 souffrant d’une maladie d’Alzheimer à un stade  modéré, n’a pu être atteint.

– Les résultats de la phase 3 d’essai clinique du Solanezumab, l’immunothérapie passive du laboratoire Eli-Lilly, n’ont également pas démontré l’efficacité clinique attendue chez l’ensemble de la population des patients étudiés. Toutefois, des analyses complémentaires effectuées uniquement sur les données des patients au stade léger ont révélé un ralentissement du déclin cognitif dans le groupe traité par Solanezumab.

-> Perspectives : Compte tenu de ces résultats encourageants, une étude de phase 3 est en cours de préparation chez des patients Alzheimer légers. Elle débutera en France en octobre 2013. L’objectif étant de confirmer l’efficacité du Solanezumab dans le ralentissement du déclin cognitif chez les patients au stade léger de la maladie.

Même si ces résultats s’avèrent être partiellement négatifs, les essais cliniques de Bapineuzumab et de Solanezumab ont permis de faire avancer à la fois,  la compréhension de la maladie et la recherche thérapeutique. Pour la plupart des chercheurs, il est maintenant évident qu’il faut agir avec les immunothérapies au stade le plus débutant de la maladie, avant l’installation des troubles cognitifs sévères.

– C’est pourquoi, le grand espoir aujourd’hui est l’étude Scarlet-Road du laboratoire Roche. Il s’agit de l’immunothérapie passive avec Gantenerumab au stade le plus débutant de la maladie (selon les critères de Dubois B et collaborateurs de 2007). A ce stade, les chercheurs espèrent encore arrêter le déclin cognitif. Les résultats des analyses intermédiaires de sécurité de cette molécule sont très positifs.

-> Perspectives : Une étude d’extension de l’étude Scarlet-Road (dite principale) est prévue et elle permettra de continuer le suivi, pendant environ 2 ans, des patients participants à l’étude principale et avoir, ainsi, des informations supplémentaires sur la tolérance et l’efficacité du Gantenerumab.

 

c. La cascade amyloïde

Une autre approche pour agir sur l’Abeta est d’inhiber des enzymes impliquées dans la cascade amyloïde. Ces enzymes sont les gamma-sécrétase et les beta-sécrétase.

– Malheureusement, les résultats se sont révélés très négatifs avec un inhibiteur de gamma-sécrétase d’Eli-Lilly. Des effets indésirables cutanés (cancer de la peau) ont stoppé les recherches sur les inhibiteurs de gamma-sécrétase en raison de l’inhibition qu’elle exerce sur NOTCH (étape importante de régulation cellulaire).

Aujourd’hui, l’espoir repose sur les inhibiteurs de beta-sécrétase (BACE), qui ont une affinité moindre pour NOTCH et qui seront mieux tolérés.

Deux inhibiteurs de BACE seront évalués en phase 2 et 3 en 2013, chez des patients ayant une maladie d’Alzheimer légère à modérée, en France et à l’international, par le laboratoire MSD. La première étude de phase 2, actuellement en cours dans certains centres français, a pour but d’évaluer le profil de sécurité de cet inhibiteur de BACE avant le suivi d’une plus grande population de patients, dans la seconde étude (phase 3 en développement). Cette étude de phase 3 débutera en septembre 2013 en France.

-> Perspectives : Une nouvelle étude de phase 3 sera initiée chez des patients prodromaux (stade le plus débutant de la maladie) durant le 1er trimestre 2014. L’objectif étant d’arrêter la maladie dans les stades les plus précoces.

2. Les molécules anti-protéine TAU

Dans la maladie d’Alzheimer, les dégénérescences neurofibrillaires résultent de l’agrégation intraneuronale de protéines Tau, sous la forme de paires de filaments en hélice. La présence de ces lésions neuropathologiques est fortement corrélée au déficit cognitif et à la progression de l’atrophie hippocampique. La phosphorylation anormale de la protéine Tau mène à la désintégration des microtubules qui doivent, dans la situation normale, assurer le transport neuronal.  L’utilisation d’inhibiteurs de kinases est donc une voie prometteuse pour ralentir la progression de la dégénérescence neurofibrillaire. La plupart de ces molécules viennent de la cancérologie où elles sont déjà utilisées avec succès.

– Le laboratoire espagnol Noscira a récemment terminé la phase 2 de l’étude de Tideglusib, inhibiteur de Glycogen Synthase Kinase 3 (GSK3β), chez des patients souffrants de la maladie d’Alzheimer d’un stade léger à modéré. Les résultats de cette étude, obtenus en janvier 2013, étaient négatifs. En effet, malgré une bonne tolérance du produit, l’objectif clinique (i.e., ralentissement du déclin cognitif) n’a pas été atteint pour toutes les échelles d’évaluation cognitive et fonctionnelle.

Mais de plus en plus de laboratoires s’intéressent à la piste de la protéine TAU.

 – En octobre 2012, le laboratoire BMS a débuté le recrutement des patients français dans leur étude avec une molécule anti-Tau (« stabilisateur des microtubules »). Cette étude était déjà en cours à l’international.
Par ailleurs, cette molécule est déjà utilisée dans la cancérologie, mais les doses y sont beaucoup plus élevées que celles qui seront testées dans la maladie d’Alzheimer. A noter que le recrutement des patients a été temporairement interrompu en juin 2013 et qu’une analyse intermédiaire des données obtenues auprès des 40 patients est en cours. A l’issue de cette analyse, le laboratoire prendra une décision quant à la poursuite du recrutement.

 

Quels sont les pistes de la recherche thérapeutique dans un futur proche ?

 a. A partir de traitements existants…

– Un article récemment publié dans la revue Science sur le médicament bexarotène (Targretin®), déjà disponible pour le traitement des lymphomes cutanés, a prouvé une amélioration cognitive avec une réduction rapide du taux de bêta-amyloïde soluble dans le liquide céphalo-rachidien dans le modèle murin de la maladie d’Alzheimer. Cette amélioration était observée dans les quelques heures suivant l’administration du traitement chez des souris-modèles de la maladie d’Alzheimer (souris transgéniques). Bexarotène agit sur un récepteur impliqué dans la production apolipoprotéine E (ApoE).  Le médicament augmente la production de l’ApoE et diminue l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde dans le cerveau. Cet effet positif reste désormais à confirmer dans les essais chez l’humain.

– Un autre médicament, prometteur dans la maladie d’Alzheimer et aussi déjà disponible sur le marché (pour le traitement des déficits immunitaires), est Gammagard (immunoglobuline humaine intraveineux) du laboratoire Baxter. Les résultats présentés au congrès AAIC à Vancouver en juillet 2012 portant sur quelques patients atteints de la maladie d’Alzheimer et traités pendant 18 mois par cette molécule, montrent la stabilisation d’état cognitif et l’absence de progression de l’atrophie corticale.

 

b. Des nouvelles molécules…

– Une étude de phase 3, dont le promoteur est le laboratoire Lundbeck débutera en France durant le dernier trimestre 2013. L’objectif de l’étude étant d’évaluer l’efficacité de la molécule à l’étude, le Lu AE58054 (antagoniste des récepteurs 5HT6), comme traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer, administré en add-on de l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase chez des patients à un stade léger ou modéré.

 

c. Des patients pré-symptomatiques…

L’attention des chercheurs est de plus en plus portée sur les phases précliniques de la maladie, c’est-à-dire, lorsque les processus physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer sont déjà déclenchés alors que le patient ne présente pas encore de symptôme clinique.

– Le laboratoire américain Genentech lance la première étude de prévention chez les sujets pré-symptomatiques, porteurs de la mutation autosomique dominante du gène PSEN1. Dans cet essai seront inclus plus de 300 membres d’une très grande famille colombienne porteuse de cette mutation, ainsi que quelques sujets provenant des États-Unis. L’âge moyen du début des symptômes chez ces sujets est 45 ans, c’est-à-dire que l’âge moyen des participants de cet essai sera de 30 ans (15 ans avant l’installation du déclin cognitif).  La molécule sous test est Crenezumab – anticorps humanisé monoclonal ciblé contre la protéine bêta-amyloïde, qui joue le rôle principale dans la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer. Cette molécule est également en cours de test chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer légère-à-modérée. Plusieurs centres en France participent également à cette étude.

– Une cohorte DIAN financée par le NIH (Etats-Unis) a pour objectif d’évaluer la prévention du déclin cognitif chez des sujets pré-symptomatiques porteurs d’une mutation autosomique dominante (PSEN1, APP) après administration de gantenerumab ou du solaneuzumab pendant 24 mois. L’âge moyen du début des symptômes chez ces sujets est 45 ans, c’est-à-dire que l’âge moyen des participants de cet essai sera de 30 ans (15 ans avant l’installation du déclin cognitif). Des patients français seront suivis dans le cadre de cette étude de phase 3.

Ces études de prévention permettront sans doute de valider certains marqueurs biologiques, afin d’accélérer le développement d’un traitement et d’évaluer les effets d’un traitement précoce sur la maladie d’Alzheimer.

 

 

De nombreuses recherches thérapeutiques mais pas que !

– Une étude clinique du laboratoire Eli-LILLY (Etude Avid A-18), en cours de recrutement en France et à l’international, a pour but de déterminer l’apport de l’imagerie par PET-Scan dans la décision diagnostique, lorsque le pourcentage de « confiance diagnostique » est faible (compris entre 15 et 85% inclus).

– L’établissement d’un diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer permettrait une prise en charge avancée, ce qui retarderait la progression des symptômes de la maladie. Afin d’atteindre cet objectif, une étude clinique dirigée par le Professeur Bruno Dubois est actuellement en cours de recrutement à l’Institut de la Mémoire (Hôpital Pitié Salpêtrière). L’objectif de cette étude nommée « INSIGHT » est d’effectuer un suivi pendant 6 ans de sujets asymptomatiques à risque, ayant des plaintes de mémoire subjectives et de déterminer, sur la base d’examens cliniques, électro physiologiques, biologiques et d’imagerie, des marqueurs biologiques de « conversion » vers une maladie d’Alzheimer.

De nombreuses autres études observationnelles sont actuellement en cours en France. Elles ont notamment pour objectif d’aider le diagnostic, de développer des marqueurs sanguins de diagnostics et de pronostics, de définir de nouveaux biomarqueurs de l’atrophie des structures hippocampiques, de collecter et analyser les altérations génétiques …  Pour cela elles ont recours à des ressources exceptionnelles dans les domaines de la neuro-imagerie, de la génétique, des neurosciences cognitives, de la biologie et de l’électrophysiologie notamment.

 

Pour plus d’informations concernant les sites recruteurs, rendez-vous sur le site internet de l’ONRA ou sur celui de notre-recherche-clinique.fr.

*: LEEM : les Entreprises du médicament.