La fatigue et le stress exposent particulièrement l’aidant aux dangers des « pensées dysfonctionnelles ». Comment mettre le doigt dessus et leur résister ? Mode d’emploi.
Après d’innombrables mois au chevet de son proche malade, il se peut qu’un matin, l’aidant se réveille en ne se sentant plus la force d’assurer son rôle. Des idées sombres l’envahissent et le privent d’envie, de confiance, d’énergie, comme s’il n’était plus à la hauteur… Que faire : tout laisser tomber ? S’obstiner malgré tout ? S’écouter ? Se maudire de se laisser ainsi aller ?… Pas de panique ! Sans doute est-il seulement en but à ce qu’on appelle des « pensées dysfonctionnelles ».
- « Pensées dysfonctionnelles », quésaco ?
C’est le psychiatre américain Arron Beck qui les désigne ainsi. Comme leur nom l’indique, ce sont des pensées qui empêchent de réagir de façon adaptée à une situation : il s’agit d’idées rigides, négatives, peu rationnelles, qui assaillent l’esprit en cas de fatigue, d’émotion forte ou autres situations inhabituelles… et qui brouillent la vision de la réalité. Au lieu de motiver la décision et l’action, elles les bloquent en leur opposant des principes catégoriques inappropriés. Voici ce qu’elles peuvent donner, chez l’aidant d’un malade Alzheimer : « C’est fini, mon proche ne m’aime plus : il ne me reconnaît même pas ! » ; « Inconcevable d’accepter cette sortie au cinéma alors que c’est l’heure de sa toilette. » ; « Je n’en peux plus, mais il faut que je tienne, d’autres y sont bien arrivés ! » …
- Quel enjeu pour l’aidant ?
S’il ne contrôle pas ces pensées dysfonctionnelles, les risques sont gros pour l’aidant. Le psychologue chercheur espagnol Losada en relève deux, particulièrement néfastes : d’une part, la mauvaise interprétation du comportement du malade (par exemple : « Il fait exprès de me poser toujours la même question juste pour m’énerver ! »), qui mène à l’agacement, à la colère, à l’incompréhension, aux disputes… ; d’autre part, la négligence personnelle (au lieu de déléguer, l’aidant renonce à ses loisirs et ses moments de détente pour se consacrer totalement à son proche malade), porte ouverte vers la tristesse, le surmenage, le stress, l’isolement et pour finir, la dépression…
- Comment les reconnaître ?
Mais il est possible de reprendre le dessus avant d’en arriver là, nous rassure Arron Beck ! Première étape : identifier ces pensées dysfonctionnelles. Pour cela, mettons en lumière le flux incessant d’idées automatiques qui nous traversent l’esprit et interrogeons-les : sont-elles réalistes ? appropriées ? nous rendent-elles sereins, déterminés, heureux ?… Si la réponse est systématiquement « non », je viens sans doute de mettre le doigt sur des pensées dysfonctionnelles.
- …et s’en débarrasser ?
Deuxième étape, maintenant : défusionner avec elles. Le meilleur moyen est de leur opposer ce que Beck appelle des « pensées alternatives », c’est-à-dire une autre façon de considérer la situation. Par exemple : en pesant le pour et le contre, en nous demandant ce que ferait notre meilleur ami à notre place, ce que nous dirait notre proche malade s’il se rendait compte de notre état, ce qu’il nous aurait conseillé de faire au temps où il avait toute sa tête… Cette démarche bienveillante, dénuée de jugement, nous aidera à assouplir notre perception et à mieux vivre l’instant présent.