La réserve cognitive et la réserve cérébrale

Use it or loose it ‘ – s’en servir ou le perdre1 : notre cerveau est un capital. On va pouvoir le faire fructifier tout au long de la vie en y développant des connexions et des réseaux par des apprentissages et des découvertes. On va aussi pouvoir le protéger, par une bonne hygiène de vie et l’exercice physique. Le résultat est que, face au vieillissement ou à une maladie neurodégénérative, il aura une capacité plus ou moins grande à se défendre.

Ce concept de réserve n’est pas nouveau : Il représente le surplus de capacités intellectuelles d’un individu par rapport à d’autres, pour une même quantité de lésions cérébrales2.

Pour décrire au plus près ce phénomène les chercheurs utilisent deux approches : celle de la « réserve cérébrale » et celle de la « réserve cognitive »3,4.

Les études de la « réserve cérébrale » s’intéressent à la quantité de « matière » disponible pour le fonctionnement cérébral : les neurones et leurs connexions. L’IRM au repos permet de quantifier par exemple le volume intracrânien, l’épaisseur ou la surface du cortex cortical, voire la qualité des connexions entre régions cérébrales. L’analogie pourrait être celle du « hardware » d’un ordinateur.
Les études de la « réserve cognitive » s’intéressent plutôt à la fonction et donc à la dynamique cérébrale mise en jeu pour exécuter une tâche, telle qu’elle peut être évaluée par des tests ou l’IRM fonctionnelle. Elles étudient donc la capacité et l’efficacité à gérer les ressources cérébrales. Ici c’est plutôt le « software » qui est considéré.

Le cerveau est infiniment plus complexe qu’un ordinateur et, en réalité, le développement de nouvelles connexions entre neurones, la construction de réseaux, leurs redondances, l’adaptation et la compensation des pertes causées par des agressions, sont intriqués et sans cesse à l’œuvre. La distinction précédente est donc simplificatrice, mais utile pour la recherche.

Peut-on agir pour augmenter ses réserves ?

Un faible niveau d’éducation et de stimulation cognitive tout au long de la vie sont des facteurs de risque, dits modifiables, de la maladie d’Alzheimer5. La formation initiale et les responsabilités professionnelles sont considérées comme de bons marqueurs de la réserve cognitive. Mais ces critères, faciles à mesurer dans les études, ne sont pas les seuls. Ils n’ont de valeur que statistique sur de grandes populations, pas au niveau d’un individu. Les publications plus récentes démontrent que l’activité intellectuelle mais aussi les interactions sociales, professionnelles ou non, les activités physiques, artistiques ou de loisir, et cela tout au long de la vie, protègent contre le risque de démence6-8. Le bilinguisme, la pratique d’un instrument de musique, la maîtrise de la lecture ont été particulièrement étudiés9-11.

On ne sait pas encore si ces bénéfices tiennent simplement au fait de partir d’un capital plus élevé (réserve cérébrale), de mieux gérer ses ressources (réserve cognitive), ou à une réelle défense contre la progression des lésions de la maladie. SI quelques indices peuvent soutenir cette dernière hypothèse12,13 cela est loin d’être établi. Il semble surtout que l’on observe un retard au début des symptômes, grâce à la réserve ou aux mécanismes de compensation, jusqu’au moment où ils sont débordés ; alors la détérioration pourrait être rapide14,15. Ce sont, quoi qu’il en soit, des années en bonne santé que l’on peut ainsi gagner. On a estimé que retarder de 5 ans le début des symptômes chez les sujets atteints de lésions de maladie d’Alzheimer diviserait par deux le nombre de patients16
Alors il ne faut pas hésiter à, par exemple, ressortir sa guitare, lire ou relire les grands classiques, rafraîchir cette langue apprise tant bien que mal au lycée, bricoler, peindre, ou tenter des choses entièrement nouvelles pour nous. Garder intacte sa curiosité et son désir d’apprendre peut aider à bien vieillir plus longtemps.

Références :
1. Mistridis P, Mata J, Neuner-Jehle S, et al. Use it or lose it ! Cognitive activity as a protective factor for cognitive decline associated with Alzheimer’s disease. Swiss Med Wkly. 2017;147:w14407.
2. Roth M. The association of clinical and neurological findings and its bearing on the classification and aetiology of Alzheimer’s disease. Br Med Bull. 1986;42:42–50
3. Stern Y, Arenaza-Urquijo EM, Bartrés-Faz D, et al. Whitepaper: Defining and investigating cognitive reserve, brain reserve, and brain maintenance. Alzheimers Dement. 2018;S1552-5260(18)33491-5.
4. Stern Y. An approach to studying the neural correlates of reserve. Brain Imaging Behav. 2017 April ; 11(2): 410–416.
5. Norton S, Matthews FE, Barnes DE, Yaffe K, Brayne C. Potential for primary prevention of Alzheimer’s disease: an analysis of population-based data. Lancet Neurol. 2014;13(8):788–794.
6. Wilson RS, Bennett DA, Bienias JL, et al. Cognitive activity and incident AD in a population-based sample of older persons. Neurology. 2002;59(12):1910-1914.
7. Verghese J, Lipton RB, Katz MJ, et al. Leisure activities and the risk of dementia in the elderly. N Engl J Med. 2003;348(25):2508-2516
8. Paillard-Borg S, Fratiglioni L, Winblad B, Wang HX. Leisure activities in late life in relation to dementia risk: principal component analysis. Dement Geriatr Cogn Disord. 2009;28(2):136-144
9. Walsh S, Causer R, Brayne C. Does playing a musical instrument reduce the incidence of cognitive impairment and dementia? A systematic review and meta-analysis. Aging Ment Health. 2019;1–9.
10. Lee ATC, Richards M, Chan WC, Chiu HFK, Lee RSY, Lam LCW. Association of Daily Intellectual Activities with lower risk of incident dementia among older Chinese adults. JAMA Psychiatry. 2018;75(7):697–703.
11. Mendez MF. Bilingualism and Dementia: Cognitive Reserve to Linguistic Competency. J Alzheimers Dis. 2019;71(2):377–388
12. Adlard PA, Perreau VM, Pop V, Cotman CW. Voluntary exercise decreases amyloid load in a transgenic model of Alzheimer’s disease. The Journal of Neuroscience. 2005; 25(17):4217–4221.
13. Landau SM, Marks SM, Mormino EC, Rabinovici GD, Oh H, O’Neil JP, et al. Association of lifetime cognitive engagement and low beta-amyloid deposition. Archives of Neurology. 2012; 69(5):623–629.
14. Soldan A, Pettigrew C, Cai Q, et al. Cognitive reserve and long-term change in cognition in aging and preclinical Alzheimer’s disease. Neurobiol Aging. 2017;60:164–172.
15. van Loenhoud AC, van der Flier WM, Wink AM, et al. Cognitive reserve and clinical progression in Alzheimer disease: A paradoxical relationship. Neurology. 2019;93(4):e334–e346
16. Brookmeyer R, Gray S, Kawas C. Projections of Alzheimer’s disease in the United States and the public health impact of delaying disease onset. American journal of public health. Sep; 1998 88(9): 1337–1342